Oï oï !
Quel plaisir de vous retrouver cette semaine. On profite des rayons qui percent, c’était le salon de l’agriculture et on fait bientôt sauter le masque, autant vous dire qu’on est au max. L’occasion ou jamais de réfléchir au futur de la vie sociale, pas dans les bars ni dans les clubs, mais en ligne. On a commencé la semaine dernière avec les transformations du Web à travers le prisme du contenu, remodelé via les social tokens et des NFTs. On s’intéresse cette semaine aux nouvelles dynamiques sociales qui pourraient en découler.
C’est parti 👇
Mais avant, un petit tour d’horizon :
Web3 what’s poppin ?
Le Bitcoin va devenir une monnaie légale dans la ville de Lugano en Suisse. Qui l’avait vu venir ?
Plus de 52 millions de dollars de dons ont été fait en crypto à l’Ukraine dans la cadre du conflit avec la Russie. Vous pouvez donner à Unchain Ukrain qui a déjà récolté plus d’1,5 millions de dollars en crypto 🇺🇦
DHH, cofondateur de Basecamp et proéminent influenceur de la tech, a affirmé que nous avons besoin de la crypto après avoir vu les sanctions financières contre les convois au Canada, revenant ainsi sur sa position anti-crypto.
La suggestion du chef
Le copain Samuel Durand a sorti son docu Why do we even work : on s’est régalé à l’avant première, il sera projeté au Grand Rex le 22 Mars (on conseille le trailer pour se mettre dans l’ambiance). Pour s’inscrire c’est ici !
Le sujet du jour
On sait, on vous a laissé la semaine dernière sur votre faim. Pour récapituler, le changement de paradigme du contenu dans le Web3 pourra être fondé sur 4 piliers :
L’apparition de la rareté dans un monde virtuel
Le mécénat 2.0
Des revenus équitablement partagés
(Si ça ne vous dit rien, on vous propose un petit détour par le dernier numéro)
Last but not least, la structuration des communautés : les écosystèmes autour des créateurs pourraient influencer directement le processus de création en tant que propriétaires de leur œuvre.
L’inégalité des revenus entre créateurs tire son origine du désalignement structurel entre les plateformes propriétaires de moyens de production et de distribution permettant aux créateurs d’atteindre leur audience. Les formes d’organisation propres au Web3 comme les DAO (Decentralized Autonomous Organization) pourraient proposer une nouvelle forme d’organisation, permettant aux parties prenantes (créateurs, distributeurs, utilisateurs) de collaborer. Posséder un token sur une plateforme donnerait des droits de gouvernance afin participer aux décisions prises par la communauté. Par exemple, la plateforme SuperRare (une marketplace de NFT) a distribué des tokens de gouvernance aux artistes et aux collectionneurs présents sur la plateforme. Ils peuvent donc désormais débattre et voter sur les lignes éditoriale et artistique, la gestion de sa trésorerie ou l’évolution du produit. Le biais disparaît entre les créateurs et les plateformes de distribution. Les premiers reprennent le contrôle sur leur travail, sa distribution et sa consommation grâce à un système désintermédié et démocratique.
Demain, les NFT ajouteront donc une couche de rareté au contenu sous-jacent abondant, permettant :
La propriété d’un contenu non-reproductible
L’accès à des évènements, à du contenu exclusif
Le statut, car posséder un NFT c’est aussi un signal social qui caractérise notre profil en ligne.
Qu’est-ce qui nous motive à envoyer un signal digital ? Comment se diffuse-t-il ?
Signaling-as-a-Service
D’après Robin Hanson et Kevin Simle, auteurs de The Elephant in The Brain, tout est une question de signal :
La quasi totalité de nos actions vise à envoyer un signal qui alimente notre capital social
Si cela ne nous paraît pas évident, c’est parce que cette motivation est profondément enfouie dans notre subconscient
Cette théorie se rapproche de la consommation ostentatoire décrite par Veblen selon laquelle plus un bien de luxe est cher, plus notre propension à l’acheter est forte car le signal qu’il renvoie augmente en même temps. D’après Hanson et Simle, la même logique s’applique ainsi à la consommation de produits green, à nos actes de charité et même aux diplômes (pourquoi payer des études pour apprendre des connaissances disponibles quasi-gratuitement en ligne si ce n’est pour envoyer un signal de confiance sur le marché de l’emploi) etc. A partir de cette hypothèse, il est intéressant de se demander quelles sont les motivations sociales sous-jacentes à nos actions. Dans son article Signaling-As-A-Service, Julian Lehr distingue 3 niveaux de signal :
Le message signalé : ce que je veux dire
La diffusion du message : comment je le fais parvenir aux autres
L’amplification du message : comment j’augmente la diffusion par rapport aux personnes avec qui je suis en compétition pour le signal
Longtemps, la diffusion de signaux en ligne a été un casse-tête pour Internet. En effet, l’envoi d’un signal est plus efficace dans le monde réel, expliquant par exemple que les ventes de livres aient augmenté alors que le temps de lecture moyen a diminué. Plus qu’un divertissement, un objet - un bouquin - est un signal envoyé autour de nous. L’intangibilité des objets digitaux (contenant un signal social) diminue leur propension à être diffusés et donc leur capacité à être monétisés.
En même temps, les réseaux sociaux sont devenus des plateformes de distribution de signal social, permettant de le diffuser à une audience potentiellement infinie. C’est ce Julian Lehr appelle “Distribution-as-a-Service” : ces plateformes ne proposent pas en elles-mêmes un signal social mais un service de diffusion dont le succès peut être mesuré par les likes etc. Puisque ces plateformes profitent d’effets d’échelle (plus le nombre de membres augmente, plus leur utilité augmente aussi), il serait contre-productif de monétiser et donc de limiter la diffusion du signal. C’est donc via l’amplification du message que ces réseaux ont pu être monétisés. Ainsi, Tinder vous permet d’augmenter la diffusion de votre profil via les options payantes ou Fortnite vous permet de vous différencier via les achats in-game (skins, dances etc).
Par nature, l’intangibilité et la fongibilité des softwares compliquent donc la possibilité de créer, diffuser et monétiser directement des contenus (=signaux) digitaux ou leur diffusion. Vous le voyez venir, les NFT changent radicalement la donne puisque pour la première fois, les objets digitaux peuvent être tangibles et non-fongibles. On peut signaler à un groupe externe à la communauté son appartenance à une communauté, son statut de fan d’un artiste etc. C’est un marque de reconnaissance diffusable à l’ensemble du Web, d’une plateforme à l’autre. Si le Web2 a prospéré en monétisant l’amplification d’un signal plutôt que sa diffusion, les NFT intègrent :
Le message signalé : De qui je suis fan, à quelle communauté j’appartiens
La diffusion du signal : toutes les réseaux sociaux et les plateformes sociales deviennent le support de diffusion du message
L’accentuation du signal resterait l’apanage des plateformes sociales
C’est ce qui nous fascine dans les NFT : pour la première fois, un objet digital est à la convergence des mondes physique et digital avec un impact direct sur leurs caractéristiques sociales et leur monétisation.
Status-as-a-Service
Packy McCormick, auteur de la newsletter Not Boring, reprenait récemment la théorie posée par Eugene Wei dans son article Status-as-a-Service (un must read absolu) pour tenter de comprendre comment les NFT peuvent véhiculer du statut . E. Wei analysait le succès des réseaux sociaux d’après 3 critères :
L’utilité en tant que service
L’entertainment
Le capital social est plus difficile à définir : il s’apparente à la possibilité d’améliorer son statut sur le réseau.
Chaque réseau social a une place définie sur le graphe et fait un arbitrage en fonction de ce qu’il cherche à maximiser.
Source : Eugene Wei
D’après Packy McCormick, les NFT suivent la même logique. Eugene Wei utilise l’analogie des crypto pour expliquer le système d’accumulation de capital social :
Chaque nouveau réseau social émet une nouvelle forme de capital social, un token
Pour gagner ce jeton, vous devez terminer une Proof of Work
Au fil du temps, il devient de plus en plus difficile de recevoir de nouveaux token sur chaque réseau social, ce qui crée une rareté intrinsèque
De nombreuses personnes, en particulier les personnes âgées, se moquent à la fois des réseaux sociaux et des crypto-monnaies
Prenons maintenant Bitcoin et Twitter :
Bitcoin émet des bitcoins (BTC) / Twitter fournit des followers
Les mineurs reçoivent des BTC pour sécuriser le réseau / Les utilisateurs de Twitter accumulent des followers pour leurs tweets amusants ou surprenants en moins de 140/280 caractères
Il est plus coûteux de miner des BTC aujourd'hui qu'auparavant et il sera plus difficile d’en miner demain par rapport à aujourd’hui / Au début de Twitter, vous pouviez obtenir des followers en tweetant à peu près tout et n’importe quoi. Aujourd'hui, les gens ont recours à des threads pour expliquer de manière concise des concepts plus compliqués
¯\(ツ)/¯
Tout réseau social doit inciter ses participants à s’engager sur la plateforme (via la PoW) et à y accumuler du capital social. Les plateformes gardent jalousement leur communauté au capital social élevé et font tout pour que ces derniers restent sur cette plateforme (vous vous rappelez du creator fund de TikTok ?). Suivant ce framework, pourquoi les NFT ne pourraient-ils donc pas devenir le prochain vecteur d’interactions sociales dans le Web3 ?
Il faut d’abord rappeler les deux hypothèses de Wei :
Nous sommes toutes et tous des singes en quête de reconnaissance sociale (Cf Hanson & Simle)
Nous cherchons toujours le moyen optimal pour maximiser le capital social
Reprenant Wei, “analyser les dynamiques d’accumulation de capital social peut aider à expliquer toutes sortes de comportements en ligne qui, autrement, sembleraient irrationnels”. Les NFT sont une nouvelle façon d’exprimer un statut, l’appartenance à une communauté, d’où l’apparente irrationalité à dépenser des sommes colossales dans un jpeg. Mais la force des NFT se situe sur les autres axes également : l’entertainment et l’utilité.
L’axe du capital social : investir dans un NFT renvoie un signal sur nous. J’indique de cette manière que je suis dans la communauté crypto depuis longtemps ou alors que je suis riche et que je peux me le permettre (Merci Veblen et le FOMO).
L’axe de l’entertainment : les réseaux sociaux sont une source de divertissement pour la plupart des utilisateurs, certains plus que d’autres comme TikTok ou Youtube. En plus de donner accès à des events ou à du contenu exclusif, le spectre d’entertainment des NFT s’élargit progressivement. Ainsi, l’achat/vente de NFT est devenu un divertissement à part entière via des achats groupés sur PartyBid ou Fractional permettant à des communautés d’acheter collectivement un NFT. Des univers relatifs aux NFTs émergent comme les PunkComic, des comic books dont les personnages sont inspirés des cryptopunks.
L’axe de l’utilité : en tant que ticket d’entrée pour accéder à une communauté, avatar dans le métaverse ou sources de revenus pour les créateurs, les applications utiles des NFT ne peuvent qu’aller en augmentant.
Source : Packy McCormick
Choisir son identité en ligne
Seulement, les NFT ont une différence fondamentale avec les réseaux sociaux traditionnels : la portabilité, c’est-à-dire la possibilité de passer d’une plateforme à l’autre en conservant son identité et sa réputation. Eugene Wei prédisait que si le capital social était transférable d’une plateforme à l’autre, la concurrence entre les réseaux sociaux se déplacerait vers les axes de l’utilité et de l’entertainment. En fait, le statut ne serait plus dépendant d’une plateforme car on peut accumuler du capital social en s’engageant ici et là et le conserver à travers Internet. Des communautés entières pourraient donc migrer d’une plateforme à l’autre librement, seul ou avec les autres membres amenant leur capital social exogène à la plateforme. La fameuse citation de Chris Dixon “Come for the tool, stay for the network” pourrait dès lors être reformulée “Come for the tool, bring the network wherever there’s the most social and financial value.” d’après Packy McCormick.
Plus qu’un réseau social propre, les NFT n’ayant pas de plateforme commune où être affichés, échangés etc (ce que pourrait être le metaverse), ils se rapprochent d’une couche sociale commune aux réseaux sociaux, une sorte de “Superverse” : une structure sociale nouvelle dans le monde digital qui combinerait capital social et financier, utilité et entertainment. Tout un tissu de communauté pourrait se créer à ce niveau entre propriétaires d’un NFT.
Conclusion
Souvent considérés comme irrationnels ou immatures, les NFT sont loin d’être un symptôme passager de l’excitation qui secoue la communauté geek. En plus de devenir un moyen d’expression privilégié, ils sont un moyen de redonner le contrôle sur son identité en ligne on-chain sans contrainte posée par les réseaux sociaux. La problématique de l’identité et de la réputation en ligne n’est qu’au début de sa réinvention. Nous reviendrons à l’avenir sur l’ouverture des possibles par l’identité on-chain.
On espère que vous avez apprécié cette pièce en deux temps sur la réinvention du contenu et de la vie sociale en ligne, des créateurs aux communautés qui les supportent. Le champ des possibles ouvert est si vaste, le mieux est toujours d’en discuter en commentaire ou sur Twitter !
Idriss & Louis
Avertissement : Cet article a une visée purement informative et ne constitue en aucun cas un conseil en matière d'investissement.
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