A qui appartient le Web3 ? Si vous avez suivi notre 1er article sorti il y a deux semaines, vous seriez tentés de nous répondre “tout le monde”. Et vous auriez raison, car le Web3 a pour colonne vertébrale :
Un mécanisme collectif de consensus, la blockchain
Les tokens incitant les participants au réseau
Et pourtant, ce n’est pas aussi simple. L’agitation autour de la notion de Web3 a déclenché des débats houleux au sein de la communauté crypto sur le sens de ce mot et sur la forme finale qu’il pourrait prendre. Pour comprendre les critiques actuelles et les courants sous-jacents, revenons rapidement à ses principes fondateurs.
Pourquoi le Web3 appartient-il à tout le monde ?
La structure des réseaux cryptos leur permet d’être neutres et de le rester grâce à 3 principes :
Ouvert (“Open”) : ils sont construits à partir de logiciels open source, élaborés par une communauté ouverte de développeurs, et exécutés au vu de tous
“Trustless” : chacun peut participer au mécanisme de consensus sans avoir besoin d’avoir confiance dans tous les nœuds (=ordinateurs) participant à la blockchain
“Permissionless” : l’offre et la demande peuvent participer sans l'autorisation d'un organe directeur
C’est par l’articulation de ces 3 principes que les réseaux cryptos peuvent fonctionner de manière décentralisée. Pour bien comprendre ce que signifie “être décentralisé”, revenons sur la définition du terme par le créateur d’Ethereum, Vitalik Buterin. Il distingue 3 formes de (dé)centralisation :
La (dé)centralisation architecturale : de combien d'ordinateurs un système est-il composé ? Combien de ces ordinateurs peuvent-ils tomber en panne à un moment donné sans mettre en danger le fonctionnement du système ?
La (dé)centralisation politique : combien d'individus ou d'organisations contrôlent les ordinateurs dont le système est composé ?
La (dé)centralisation logique : l'interface et les structures de données du système forment-elles un bloc ou sont-elles distribuées ? Pour le dire autrement : si on coupe le système en deux, utilisateurs inclus, les deux moitiés peuvent-elles fonctionner de manière autonome ?
Une blockchain est politiquement décentralisée (personne ne la contrôle) et architecturalement décentralisée (pas de point faible centralisé), mais elle est logiquement centralisée (il existe un état communément accepté et le système se comporte comme un ordinateur unique).
Source: The Meaning of Decentralization by V. Buterin
La décentralisation politique et structurelle se traduit par la participation “on-chain” et “off-chain” des utilisateurs. Off-chain, les communautés utilisent souvent des supports différents de la blockchain elle-même, permettant aux membres d’interagir et de discuter à propos du réseau qu’ils sont en train de construire (Telegram, Discord, Twitter). “On-chain”, les utilisateurs participent dans le cadre du protocole, en validant les transaction effectuées par exemple. Lorsque des décisions impliquant des modifications non-consensuelles sont prises, les utilisateurs peuvent appeler à effectuer un “fork”, ce qui “se produit dès qu'une communauté modifie le protocole de la blockchain ou un ensemble de règles élémentaires. Le cas échéant, une division a lieu et fait naître une deuxième blockchain qui partage l'ensemble de son historique avec celle d'origine tout s'orientant vers une nouvelle direction”. (source : Coinbase)
Ainsi, chaque blockchain adapte ce cadre à sa philosophie et au rôle qu’elle se donne.
Le Web3 : une utopie ?
Les choix faits par les blockchains dans leur structure et leur mécanisme de consensus sont donc des partis pris importants qui structurent le Web3. Jack Dorsey (ex-CEO de Twitter, CEO de Square et figure de proue des Bitcoin maximalistes) est récemment parti en croisade contre les autres blockchains, défendant Bitcoin comme l’unique blockchain réellement décentralisée.
Les arguments des pro-Bitcoin sont recevables : Bitcoin est la blockchain la plus sécurisée, imperméable à toute forme de censure, anonyme (pensez à Satoshi), imprenable en cas de putsch. Tous ces bienfaits dépendent d’un facteur clé, la décentralisation. On ne le répètera jamais assez : dans le Web3 elle n’est pas une vertu ou un objectif mais bien la clé de voûte de tout le système. Les Bitcoin maximalistes reprochent aux crypto alternatives comme Solana ou Avalanche de faire un compromis sur la décentralisation et la sécurité des réseaux pour favoriser leur adoption et leur déploiement.
Au-delà du débat technique, les partisans du Bitcoin se méfient de l’implication d’agents à but lucratif (comme les fonds de venture capital) dans les étapes de financement, de création, de distribution et de gouvernance d’un token.
Qui finance le Web3 ?
D’après Jack, leur implication pose deux problèmes fondamentaux :
Une répartition injuste du capital : les VCs bénéficient d’un accès plus tôt et disproportionné au financement d’un réseau crypto face à des utilisateurs qui y auront accès plus cher et plus tard
Si les protocoles ouverts appartiennent de manière déséquilibrée à quelques entités privilégiées, alors le Web3 n’est plus que l’ombre de lui-même
La création du Bitcoin est pure : Satoshi Nakamato n’a gagné des Bitcoins que sur la base du minage en tant que premier utilisateur. Lors de la création d’Ethereum, les créateurs ont organisé une ICO publique (“Initial Coin Offering” = distribution de coins aux premiers utilisateurs du réseau pour les inciter à pousser en faveur de son développement) et Vitalik reçut 1% du stock total d’ETH. L’interdiction des ICO par la SEC (l’instance de régulation financière américaine) a poussé les nouveaux réseaux cryptos à se financer auprès d’investisseurs institutionnels comme les VCs, leur offrant une part significative des tokens disponibles, les mêmes qui ont financé les GAFAM et les mastodontes du Web2 il y a quelques années. Et si le Web3 n’était qu’un autre visage d’internet qui bénéficierait aux mêmes acteurs traditionnels ? Cela n’aurait rien de nouveau. Déjà dans Le Guépard, le prince Tancrède prophétisait que “pour que rien ne change, il faut que tout change” : une autre époque mais les mêmes gagnants et les mêmes perdants.
Afin d’éviter cet écueil, la blockchain doit permettre d’aligner les intérêts de chaque participant vers l'appréciation du token à long terme. C’est un problème nouveau car les utilisateurs peuvent posséder un morceau des plateformes qu’ils utilisent pour la première fois dans l’histoire, changeant leur mode de développement. Les plateformes ont besoin du soutien systématique de leurs utilisateurs pour croître ce qui change considérablement leur gouvernance. Par exemple, Uniswap (un protocole financier décentralisé utilisé pour échanger des cryptomonnaies a reversé 60% de ses tokens (le “UNI”) à sa communauté, redistribuant une partie du capital qu’elle avait reçu de VCs. De la même manière, un autre token, l’ENS (“Ethereum Name service”) a redistribué 50% de ses tokens à ses utilisateurs et les 50% autres aux premiers contributeurs au projet ainsi qu’aux acteurs de l’écosystème utilisant son protocole, sans même avoir levé de fonds auprès de VC.
C’est un profond changement de paradigme : la garantie d’une gouvernance saine de ces réseaux par les utilisateurs afin de leur permettre de croître implique un alignement d’intérêts de tous, investisseurs institutionnels et utilisateurs inclus. C’est là que se situe le critère de réussite du Web3 : si un projet n’écoute pas ou ne s’adapte pas à sa communauté, les utilisateurs et donc le capital ne suivront pas. Chacun peut avancer des propositions de gouvernance, qui seront évaluées par la communauté et votées et chacun peut voter grâce à son investissement dans le projet : soit en exerçant son droit de vote soit en revendant ses actifs (avez-vous déjà essayé de faire pareil chez Meta parce que vous utilisez quotidiennement Instagram ?). Ce changement pourrait même pousser à la transformation des investisseurs eux-mêmes vers des structures plus proches de DAO (les Decentralized Autonomous Organizations, “organisations décentralisées dont les règles de gouvernance sont automatisées et inscrites de façon immuable et transparente dans une blockchain” (Source : Blockchain France), dont nous parlerons dans un article prochain).
A la fin, c’est la décentralisation qui gagne ?
Au fond, la décentralisation possède un avantage fondamental par nature : étant basée sur des règles transparentes et fixes, elle est un terrain de jeu digne de confiance pour les créateurs. Alors que le modèle centralisé du Web2 est une menace à long terme pour les entrepreneurs, chacun sait que les règles du jeu ne changeront plus unilatéralement dans le cadre de la blockchain. Enfin, chacun est libre de construire sur un protocole ouvert. Cela signifie qu’il n’y a pas de limite au nombre de personnes capables de construire une application sur ces réseaux contrairement aux systèmes centralisés. Seule l’adoption d’une app permet sa pérennité, pas le bon vouloir du propriétaire du réseau.
Des conditions favorables d’innovation pour plus de monde : voilà les armes de la décentralisation pour gagner la bataille des cerveaux.
A partir de cette réflexion, on peut affirmer les points suivants :
Les créateurs de valeur comme Vitalik s’enrichissent grâce à leur participation dont l’intérêt à long terme est collectif
Financer des projets d’utilité publique, avant que tout le monde y croit et même par intérêt lucratif (les VC) mérite d’être récompensé
Les possibilités de financement devraient être ouvertes et plus équitables afin d’éviter un mécanisme contre-productif de financement à l’avantage des investisseurs traditionnels
Pour être légitime, une des missions fondamentales du Web3 est d’éviter l’enrichissement d’acteurs (investisseurs ou entrepreneurs) incapables de créer de la valeur redistribuable au monde
Remplacer les institutions centralisées toutes puissantes qui délimitent nos interactions et en tirent profit est un passage obligatoire pour rééquilibrer la répartition du pouvoir. Derrière la volatilité financière des crypto se développent des formes d’organisation sociales et économiques plus équitables et coopératives. Veillons à récompenser les bonnes personnes et à faire des tokens le bon outil d’incitation pour construire un web collaboratif.
Avertissement : Cet article a une visée purement informative et ne constitue en aucun cas un conseil en matière d'investissement.
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